Par Samuel Dinel, Président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs étudiants et postdoctoraux
Je suis très content que le thème de la semaine soit le harcèlement.
C’est horrible qu’il ait fallu des événements comme ceux des dernières semaines pour que l’on ose enfin écouter celles qui parlent de culture du viol (depuis longtemps déjà), et que l’on prenne enfin conscience des agressions dont sont trop souvent victimes les étudiantes. Qu’il ait fallu que l’on publicise la souffrance de tant de femmes sur le campus pour que l’on puisse enfin avoir l’attention que mérite cette problématique. C’est donc important pour moi de dire d’emblée : merci aux survivantes qui ont osé prendre la parole et dénoncer cette violence, chaque pas que l’on fait vers un milieu de vie sain, c’est grâce à vous.
Maintenant, je fais le choix conscient de ne pas sortir trop de statistiques sur les diverses infamies qui se passent dans nos universités. Ce discours serait trop long et ne ferait que s’attarder sur les conséquences d’un problème plutôt que sur sa cause. De plus, la non-dénonciation du harcèlement sous toute ses formes rend caduques la plupart des statistiques émises par les universités.
Je ne parlerais pas trop longuement de la haine que je porte envers ceux et celles qui s’évertuent à perpétuer toutes les formes de harcèlement et qui se gavent de notre vulnérabilité afin de maintenir leur supériorité. Car le milieu universitaire est rempli de gigantesques égos qui carburent au mépris des assistantes, des assistants, des auxiliaires et des stagiaires. En aucun cas des différences de titres ne justifient des comportements qui visent à diminuer un être humain.
Il y a deux choses dont il faut absolument parler : la vulnérabilité et le mépris.
Pour comprendre la relation qui unit l’étudiante ou l’étudiant travaillant à l’université et son supérieur, il faut s’attarder au nombre incroyable de facteurs de vulnérabilité, plus présents que dans n’importe quel milieu de travail. Les supérieurs sont souvent responsables de l’évaluation de la réussite scolaire, de l’appréciation du travail effectué et même de l’intégration dans le marché du travail. On parle donc ici d’une triple dépendance, au minimum. Il faut se rendre compte que déplaire à son boss, en dénonçant une agression de n’importe quel type par exemple, a un impact significatif sur la vie d’une étudiante ou d’un étudiant. Imaginez, s’il est en colère contre vous, va-t-il vous donner une bonne note? Va-t-il vous donner un autre contrat? Va-t-il salir votre nom entre deux bières lors d’un cocktail avec des acteurs du marché du travail? Par exemple, il n’y a pas beaucoup d’employeurs dans la recherche de pointe. S’en mettre ne serait-ce qu’un seul à dos va souvent forcer des gens à changer littéralement de pays ou de domaine. Et je ne fais que parler d’une réalité d’homme blanc, je ne parle pas des autres facteurs de vulnérabilité comme d’être une femme ou une personne étudiante étrangère. Vous verrez que toutes les statistiques montrent que ces personnes sont plus à risque de vivre des comportements de harcèlement que moi.
Vous réalisez l’horreur? En 2016, dans les plus hautes sphères de l’éducation et de la recherche, être une femme ou être né à l’étranger fait de vous une victime privilégiée des agresseurs? Toute cette précarité et ces insécurités ne peuvent que mener à une chose : une culture du silence et de la domination. Une culture où l’on récompense le silence et où l’on met à l’écart et l’on exclut de leur carrière celles et ceux qui osent défendre leurs droits fondamentaux.
C’est ça le mépris.
C’est un environnement de travail construit autour de la précarité, de la dépendance et d’une réticence absolue à apporter les modifications qui pourraient garantir l’intégrité physique et psychologique de ceux qui évoluent dans le milieu.
C’est balayer du revers de la main les tentatives de dénonciation sous prétexte que ça fait partie de la réalité de la job et que nos supérieurs sont, eux aussi, passés par là.
C’est prétendre qu’un emploi précaire, dépendant de subventions et des bons mots de celui qui peut l’agresser en toute impunité, est un privilège, une chance, une belle possibilité de carrière.
C’est laisser des supérieurs insulter des personnes étudiantes, les diminuer et les déprécier, en public ou par courriel, sous couvert de « Commentaires constructifs ».
C’est ignorer que le réseau universitaire dépend actuellement des travailleuses et travailleurs étudiants, tout en les considérant comme une main-d’œuvre bon marché, facilement remplaçable.
Alors quoi? Qu’est-ce que l’on peut faire? Il faut continuer de faire ce que l’on fait en ce moment. Être en colère. Faire preuve d’intransigeance. Il faut agir collectivement. Il faut être fier de ce que l’on est. Il faut être dégouté par l’horreur du milieu de l’éducation que chacun d’entre nous veut meilleur. Surtout, il faut dénoncer toutes les agressions, des plus petites aux plus odieuses. Il faut aussi dénoncer l’incapacité du système à prendre en charge les victimes car, par son inefficacité, il se fait complice. Il faut en parler et se tenir debout pour nos droits. Il faut, je le répète, être intransigeants, car c’est seulement si tout le monde pointe du doigt l’inacceptable que la honte va se déplacer. Ce n’est plus nous qui serons blâmés d’avoir dénoncé. L’attention ne sera plus sur les victimes, mais sur ceux qui commentent les actes répréhensibles. En 2016, on est rendu là, on est rendu à se battre pour arrêter d’avoir peur de revendiquer nos droits, pour que ce ne soit plus les victimes qui soient isolées. En ce moment, dénoncer est un acte d’exception. Si, dès demain, chaque victime de harcèlement physique, psychologique ou sexuel dénonçait, ça ne le serait plus. Se lever ne serait plus odieux ou étrange. Non, ce serait les agresseurs qui auraient le poids de la honte et qui devraient trouver une façon de se gérer eux-mêmes devant l’ampleur de leurs actions.
Et nous, ensemble, on doit s’entraider, s’offrir le confort et la sécurité que le système ne nous offre pas. Il faut être meilleur que le monde dans lequel nous évoluons. Il faut être sensible et solidaire à la souffrance de l’autre et accepter de se battre pour que ça ne se reproduise pas. Il ne faut pas attendre que ça nous arrive à nous ou à des camarades pour faire quelque chose. On est une population divisée, je veux dire, on ne se connait pas entre nous. Chaque année, il y a des milliers d’auxiliaires sur le campus et je ne parle pas de la durée moyenne d’un contrat. Non seulement on ne se connait pas, mais on connait encore moins les ressources que l’on a. Si une personne part parce qu’elle n’en peut plus, une autre va prendre sa place. Même lorsqu’une plainte est déposée, le délai avant qu’on prenne des mesures concrètes fait qu’il est souvent beaucoup trop tard. Et je ne parle pas de réparation. On est forcé d’évoluer dans cette indifférence.
Alors, il faut se parler et ne pas oublier. Il faut que, malgré notre précarité, nous trouvions une façon de devenir une communauté qui se bat pour les droits de tous et de toutes. Notre force ne viendra jamais d’un règlement administratif ou d’une permission donnée par le système qui nous baise sans notre consentement. On ne peut que la construire nous-même en nous donnant des outils, en agissant et en s’unissant. Notre force est déjà là, il ne faut que l’activer.
Le combat commençait hier, il y a des années, on est en retard. Chaque agression est une défaite de plus.